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La chèvre, un matin, eut envie de vivre – Comme on dit – dangereusement. Elle avait trop lu la vie dans les livres... C’était un matin de bonheur pourtant, L’herbe tendre au soleil et la chaîne légère. Mais rien ne vous retient quand cette envie vous prend Trompant la petite bergère Qui tricotait pour son trousseau, Laissant ses sœurs et son chevreau Elle partit pour la colline, Seule, à la recherche du loup.
Monsieur Seguin, on l’imagine, Ne l’avait pas rouée de coups Son étable était propre et la main sans rudesse Qui venait la traire le soir... Mais quand cette envie-là vous presse On a beau entendre et savoir Que le bonheur est là, bien au chaud dans la paille, Chèvre ou femme, il faut qu’on s’en aille. Elle marcha toute la nuit. Le loup la suivait à la trace, Tout étonné de cette audace, Se demandant si l’on se moquait pas de lui. C’était un loup très vieux qui en avait tant vu, Qu’il était rare qu’on le prît au dépourvu. Cette chèvre lâchée, seule, dans la rocaille, Sur son terrain de chasse où nul ne se risquait, Ne lui disait rien qui vaille. Il pensait que, s’il la croquait, Il tombait dans les batteries Du vieux Marquis de Perpessac, Lieutenant de louveterie, Lequel avait plus d’un tour dans son sac. Mais son ennemi avait de la tête. Notre loup pensa : « Pas si bête, Je vous ai percé, Monsieur le Marquis ! Et cette chèvre en plein maquis C’est une ruse trop grossière. Je dois assurer mes arrières. Bien le bonjour chez vous, mais pas un coup de dent ! » Il fit un demi-tour prudent Et il regagna sa tanière.
Ayant erré un jour et une nuit Entière, Sans rencontrer son ennemi, La chèvre, avec au cœur son courage inutile, Résignée à la vie tranquille, Sentit qu’il fallait faire un geste, au moins. Ah ! comme les chèvres sont femmes... L’ayant trouvé sur son chemin Qui la cherchait la mort dans l’âme – Elle encorna Monsieur Seguin.
La chèvre folle Jean Anouilh
2011 - Eau-forte (etching), 15cm x 10cm
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