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Haïm Oren
Mon fonctionnement créatif
Je vais essayer de décrire ici ma pratique.
- L'inspiration
- Le dessin
- La couleur : pastels et peinture
- Etes-vous mon psy ?
- Psychanalyse, littérature, hypnose, respiration holotropique et chamanisme
L'inspiration
La réalisation d'un dessin commence par une sorte de force psychique, de pression que j'ai dans mon être, qui fait que je suis dans une tension psychique forte. J'agrafe une feuille sur la planche et mon bras, ma main commencent. Les gestes sont alors violents, toute ma tension intérieure est dirigée dans mon bras qui dessine. J'ai parfois besoin d'occuper mon mental avec une musique en résonnance avec mon état affectif confus, complexe mais intense. Quand j'ai une thématique émotionnelle précise, le dessin sort très vite.
Ou bien, mon esprit est vide, tranquille. Je suis à côté de gens qui parlent sans faire trop attention à moi et mon mental est occupé à suivre la conversation. Ou je suis chez moi et je l'occupe en écoutant la radio, ou un texte litéraire lu sur un disque. La feuille est blanche, crée un grand vide, calme, tranquille. Ma main caresse la feuille au grain doux, cotonneux comme la peau d'une femme. Cette sensation ressemble à celle du sculteur dont la main caresse la pierre avant de la creuser.
Quand j'ai dans la tête un dessin que mon mental veut réaliser pour toutes sortes de raisons remarquables, je n'arrive à rien. Ca donne un dessin raté, plat ou ordinaire que j'abandonne soit en prenant une autre feuille, soit en le gommant et en commençant autre chose d'inconnu, souvent à partir des traces à peine visibles de l'ancien dessin effacé.
Le dessin
Pendant que je dessine, mon regard est flou, regarde au-delà de la feuille. Mon poignet est fixe et mon crayon bouge dans le prolongement de mon bras. C'est lui qui dessine. Dans ma vue floue, il me semble voir émerger des traits de la feuille. Est-ce mon imagination imaginante qui s'inscrit sur le blanc de la feuille ? Ou est-ce l'action dessinante de ma main qui s'inscrit sur la feuille avant que le crayon n'ait commencé à tracer une ligne ? Sans doute est-ce un peu des deux.
Je dessine souvent des personnages, commence par le visage, par les yeux. Le regard de la personne dessinée troue la feuille et le visage se constitue autour : sourcils, nez, bouche se construisent par une dynamique du trait et de l'expression. Quand il m'arrive de dessiner un visage sans avoir saisi l'expression des yeux, ça ne va pas. C'est un visage qui ne tient pas. Mon regard reste flou et mon mental est occupé à suivre une musique ou une émission à la radio. Mais une partie de ma conscience suit ce qu'il perçoit de façon floue sur la feuille. Un psy dirait que c'est une attention flottante. Mon bras, ma main dessinent avec plus ou moins de vitesse, d'appui sur le trait, de violence ou de minutie du geste. Un dessin est comme un rêve, il correspond à un moment, à une atmosphère particulière.
Par moments, mon regard se fixe sur ce que j'ai dessiné, objective ; mon mental évalue. Ce petit dictateur moustachu et con sait qu'il n'est pas un bon dessinateur. Qund il dirige mon dessin, le résultat est plat, banal, gauche, ordinaire en somme. Le fait est que j'ai un vieux complexe de mal dessiner. Je peux dessiner beaucoup de choses. mais je n'ai pas assez de talent pour que ce que je dessine sous l'influence de mon mental soit de vraiment bonne facture, comme c'est le cas des étudiants sortis d'une académie d'art. Mais cette limite à mon talent est devenu un outil essentiel de ma pratique. Elle met hors jeu mon mental et m'oblige à laisser l'inspiration dessiner à sa place. Mon vécu est que je suis dessiné plutôt que je ne dessine. Ma main, mon bras dessinent tout seuls, connectés à mes trippes et à mon inconscient. Je ne contrôle pas grand chose.
Parfois, en cours de dessin apparaît un autre dessin dans le dessin initial, moins mentalisé. Les deux dessins sont enclavés. Ou bien, je mets la feuille à l'envers et regarde s'il n'y a pas un dessin qu'a fait mon inconscient. Il est souvent beaucoup plus expressif que le premier. Dans ce cas, soit j'abandonne le dessin initial, soit je le photocopie et pars sur le second qui devient le dessin principal. Mais il est difficile de continuer de façon vaguement mentalisée un dessin commencé de façon inconsciente. Cependant, il y a la matrice du dessin lui-même qui est en relation émotionnelle et graphique avec la dynamique autonome du trait dans mon bras et ma main. Parfois, je considère que les deux sont intéressants et peuvent cohabiter. Ainsi, des personnages émergent souvent d'autres personnages. ou un dessin peut avoir deux sens et deux titres. Lors d'une exposition, l'idéal serait que les visiteurs puissent tourner avec la main l'oeuvre fixée au mur par un pivot. Cela permettrait à leur regard de déconstruire et reconstruire, de voir les deux dessins en même temps dans un flottement de la perception. Ils peuvent également en chercher d'autres. Dans les brouillards de traits de certains dessins, il n'est pas difficile de découvrir toutes sortes de choses.
Parfois, des dessins inconscients ne me sont apparus que longtemps après, quand mon mental voulait bien les voir. Par ailleurs, mon inconscient a livré du matériel psychique inconscient que souvent je n'ai compris que des années plus tard sur le divan. Apparaissent sur certains dessins des clivages, des condensations et autres manifestations des processus primaires. Mes dessins, du moins certains d'entre eux, fonctionnent-ils comme des rêves, avec un contenu manifeste et un contenu latent ? Je ne sais pas, j'hésite à l'affirmer parce qu'un rêve part d'une tentative de réalisation de désir. Qu'en est-il d'un dessin ? Y chercher à chaque fois une trajectoire de désir me semble une approche bien restrictive. Et dans une oeuvre plastique, encadrée par des limites spatiales, il n'y a pas la traversée temporelle qui caractérise le rêve.
Je me remets dans cette attention flottante et le dessin continue. Parfois, il est dessiné très vite, en une demie-heure. Et d'un seul coup, il paraît achevé, il n'y a rien à y chnager. Je m'arrête et le regarde depuis le fond de la pièce, sort, revient, et l'observe d'un oeil critique. Y a -t-il quelque chose qui ne va pas ? Ce regard continue pendant les jours qui suivent. Dans l'échauffement, il y a des choses que je n'ai pas vues. Ou bien, il se fait un assèchement créatif. J'en ai fait la moitié, presque tout. Mais il y a une partie qui ne donne rien. Mammain est inerte, mon bras lourd. Je dessine et ça ne va pas, ou ça emmène le dessin dans une autre direction. Je bois un thé, mange des tartines, téléphone à un ami, y reviens. Et une deuxième inspiration arrive, mon trait redevient fluide et je découvre peu après un dessin inconscient.
Ce qui me frappe, c'est l'esprit ironique, dur, ambivalent, cruel, sentimental que peuvent avoir ces dessins inconscients, qui révèle une intelligence de mon inconscient à côté de laquelle mon mental est d'une stupidité navrante. D'ailleurs, c'est souvent l'impression que j'ai, dans la vie, que mon mental me fait avoir un cimportement lourd et con ; après coup, je m'en rends compte et j'en suis navré, m'en vais le critiquer avec les autres personnes auprès desquelles il vient de faire son numéro. L'ego est généralement con. Un peu partout, les egos papillonnent, agitent leurs ailes et s'approprient toutes sortes d'objets, et le crétinisme abonde.
Parfois, le dessin s'arrête à la moitié. Je le laisse en jachère et il fermente pendant des jours, des mois, des années. Quand je constate que mon regard voit des choses sur la feuille qui n'y sont pas, je m'y mets. le dessin aboutit alors. Le danger est parfois qu'un dessin que j'ai fait il y a longtemps soit effacé par un autre plus contemporain qui émerge de mon être et recouvre rapidement le précédent. Parfois, le dessin est un brouillard de traits où le sens se fait et se défait, qui recouvre par moments toute la feuille, créant une opacité déconcertante. Je le laisse alors de côté, frustré de n'avoir pas abouti, épuisé par ces heures de crayonnage, la gomme usée et le côté de la main noirci par la mine de plomb.
Avec les années s'est mise en placeune pratique du dessin expressionniste liée à mon inconscient. mes dessins figurent mon visage, mon être profond, des figures intérieures, et sur le papier très souvent, l'image interne de mon corps marqué en particulier par les traumas de mon passé. Mes dessins apparaissent alors comme des tentatives vaines de réparation de mon narcissisme meurtri ; mais aussi, la pulsion de mort s'exprime fortement, intriquée aux pulsions de vie, aboutit à la répétition de dessins sombres, très noirs, terrifiants, où l'horreur est banale, où des figures surmoïques violentes et terrifiantes m'infligent toutes sortes d'angoisses et de tourments. De ce point de vue, mes dessins ont été des exutoires de ma pulsion de mort et, à une époque de ma vie, de passages à l'actes suicidaires. De cela au moins, j'ai guéri sur le divan.
La couleur : pastels et peinture
Ma relation à la couleur a de multiples résonnances. Le trait de crayon est comme un sillon noir creusé dans la neige. Les couleurs sont multiples, graduées, entretiennent entre elles un dialogue subtile. Une peinture m'apparaît souvent comme une forêt ornementale où les couleurs se coulent dans des formes qui les mettent en mouvement. Et ces formes colorées entretiennent entre elles un dialogue à deux voix, celle de la forme et celle de la couleur. En cela, une oeuvre de couleur s'affranchit de l'expression et du dessin et a son propre langage qu'ont formalisé Kandinsky et l'art abstrait. Dans le même temps, les formes conservent un lien fort avec le dessin et, du fait que les couleurs remplissent les formes, leur donnent une sensualité, une érotique visuelle, les formes offrent souvent au dessin une transfiguration expressive. Un dessin à la mine de plomb repris à l'huile change de dimension. Il est anobli quand on en fait une eau-forte.
La couleur me relie à mon enfance en Alsace, aux forêts de sapins, à la neige, à la boue quand vient le dégel et au vert des près au printemps, aux champs de jonquilles à l'automne. Ma sensibilité enfantine a été marquée par une exaltation de la vie qui cherche à refouler, dénier, oublier le blanc et la solitude de l'hôpital, que j'ai trop connus étant enfant. La couleur est pour moi une défense contre la dépression, contre les figures très sombres ou cruelles qui peuvent m'assaillir. Mon besoin profond de beauté, de couleur, vient aussi de là, des traumas et des carences des premiers temps de ma vie. La beauté donne le sentiment d'exister à ceux qui ne sont pas encore tout à fait nés. Elle les rattache à ce monde, à cette vie.
Quand je peints, les couleurs et les formes dans lesquelles elles circulent, se glissent, s'émeuvent, s'engendrent d'elles-mêmes. Elles semblent sortir du papier sous mon regard flou et elles avancent souvent par diffusion latérale. La couleur se répand d'elle-même de façon latérale sur la feuille en suivant une matrice générale qui est celle du dessin. 'harmonie de toutes les couleurs de la toile se constitue peu à peu. Il m'a fallu du temps pour libérer en moi la force expressive de la couleur que je possédais naturellement étant enfant et que j'ai perdue entre 14 et 30 ans environ, pendant la grande période sombre de mon existence. Il me semble que j'ai beaucoup de chemin à faire avec la couleur. Ce n'est qu'un début.
Etes-vous mon psy ?
En regardant ces oeuvres, vous aurez peut-être des réactions émotionnelles, esthétiques fortes. Tant mieux, écrivez-moi pour m'en faire part. C'est beau pour moi de voir se transformer chez les autres ce qui sort de mon être. Et il y a sans doute autant de destins que d'individus qui voient l'oeuvre. Une défense que vous allez peut-être mettre en place va être d'en dégager une lecture analytique rapide de ma personne. Mais vous ne pouvez faire les liens à ma place car mon psychisme est autant singulier que le votre, donc différent. Les liens que vous ferez ne vaudront que pour vous. Ou il faudra que je commente mes dessins et que vous partiez de là. Mais je ne commente jamais mes dessins. Finalement, l'intérêt de ce vécu émotionnel éventuel est qu'il vous confronte avec l'autre, et avec l'autre en vous.
Psychanalyse, littérature, hypnose, respiration holotropique et chamanisme
Mes dessins et peintures expriment mon plaisir de l'aventure, extérieure dans le monde (les voyages) et intérieure dans mes mondes intérieurs. Ils accompagnent mon travail de nombreuses années de psychanalyse, de psychothérapie individuelles et groupales. Elle expriment des thématiques de ma psychanalyse, de mes rêves, de mes régressions profondes pendant des séances de respiration holotropique ou d'hypnose. Certains dessins parlent de moi, d'autres non. Ce sont parfois des images qui me sont venues en écoutant d'autres patients. Je garde cela en moi, précieusement. Puis je me mets devant la toile et ça sort tout seul.
Certains dessins ont été faits suite à des lectures. Ainsi, "L'Assesseur de collège" a été fait après avoir lu Gogol, "Meyn goldene shtern / mon étoile d'or" après avoir lu "La Mémoire d'Abraham" de Marek Halter, "Fleurs cannibales" après avoir lu des "Illuminations" de Rimbaud. Souvent, il s'agit d'images qui naissent en moi de façon floue, furtive, insaisissable, mais elles sortent facilement sur la feuille. Ou elles se constituent et je les découvre en les voyant apparaître sur la feuille ou la toile. La plupart du temps, je n'ai aucune idée de ce que je vais faire quand je me mets devant ma planche. J'aime cet inconnu intérieur, ce processus créatif est essentiel à ma bonne santé. Si je ne crée plus pendant quelque temps, je dépéris rapidement.
Apparaissent des régressions aux premières années de ma vie ou à ma vie utérine. Les nombreux autoportraits dans les oeuvres fonctionnent comme des tentatives de réparation de mon narcissisme (visage, image du corps) mutilé par les traumas (voir l'expo "Portraits"). Il y a à l'oeuvre tout un travail sur l'image du corps. La permanence de certaines thématiques montrent bien les vicissitudes de la compulsion de répétition. Je suis souvent allé dans des vies antérieures, changeant complètement de corps et de personnalité ; cela apparaît dans certains dessins. Par ailleurs, j'ai une certaine pratique des états de conscience chamanique (sweat lodges, limpias, voyages chamaniques au Mexique et en Amazonie). J'ai été soigné par des chamanes et ai pris des plantes maîtresses hallucinogènes. Cela a changé en profondeur mon être, ma relation aux autres et ma vision du monde, mon rapport à l'imaginaire et aux états de conscience modifiés.
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